La Belle Catherine et la Sainte-Catherine : une danse du 25 novembre

par Olivier Paré, historien, danseur et enseignant

« La Sainte Catherine! […] Le vieillard se souvient avec plaisir du jour où autrefois une réjouissance universelle se fesait [sic] entendre d’un bout du Canada à l’autre, comme pour annoncer que les rudes travaux de l’été étaient terminés et qu’il fallait se préparer à combattre joyeusement et chaleureusement la froide rigueur de nos longs hivers. Il se rappelle des jouissances intimes qu’il a causé à une famille chérie en les surprenant, le soir de la Ste-Catherine, par une de ces délicieuses réunions dansantes comme savait en faire nos aïeux, et qui étaient d’autant plus agréables qu’elles étaient inattendues. »1

Nous sommes en novembre 1847. Les Montréalais sont conviés à une soirée organisée à l’hôtel Donegana à l’occasion de la fête de la Sainte-Catherine, autrefois abondamment célébrée chaque 25 novembre au Canada. On annonce l’événement dans un article du journal L’avenir, invitant le public à renouer avec cette tradition ancestrale si appréciée. Marquant la fin de la saison agricole et le début de la saison hivernale, la Sainte-Catherine est à l’époque l’occasion de se réunir, de préparer et de manger la fameuse tire Sainte-Catherine. Sans oublier la danse qui, bien entendu, fait partie des amusements de prédilection lors de ces soirées!

« La “Sainte-Catherine” », illustration d’Edmond-J. Massicotte. [S.l.] :Emile Granger,1918. BAnQ.

« La Sainte-Catherine », Le Monde illustré, Vol. 4, no 186 (26 novembre 1887), p. 238.

La Sainte-Catherine et la Belle Catherine

Le 25 novembre 1852, la fête de la Sainte-Catherine est célébrée au Séminaire de Québec avec un grand bal. À un moment de la soirée, 12 personnes se placent en colonne pour exécuter une danse au nom fort à propos : la contredanse appelée Belle Catherine.2 Il semble qu’en raison de son nom si adéquat, on ait naturellement opté pour cette danse le soir du 25 novembre. La journaliste et écrivaine Robertine Barry (1863-1910), sous le pseudonyme de Françoise, donne plus de détails à ce sujet dans une de ses chroniques :

« Je me souvenais surtout d’un air spécial composé tout exprès, croyions-nous, en l’honneur de la Sainte, qu’on appelait la ‘’Belle Catherine’’ et sur lequel on se met en danse comme pour Sir Roger de Coverley, [une autre contredanse en colonnes]. C’est un air vif, entraînant que je n’ai plus guère entendu après avoir laissé les bancs de l’école. Nos chagrins d’alors ne résistaient pas à ce rythme joyeux ; dès les premières notes, nous accourions, souriantes et légères, saisir en cadence le premier anneau de la chaîne et danser avec tout l’entrain que l’on y met à quinze ans. »3

Quelle est donc l’origine de cette contredanse? Il semble qu’au moment de la création de la danse, le nom ait bien peu à voir avec la fête de la sainte. On retrouve en effet les plus anciennes mentions d’une danse nommée La belle Catherine dans des manuels anglais, dont une première description dans le Bride's Favorite Collection of Two Hundred Select Country Dances, publié à Londres vers 1775.4 À l’époque, il n’est pas rare de voir des danses chorégraphiées par des Britanniques porter des noms français pour rajouter une touche d’exotisme : la mode des contredanses françaises bat son plein en Angleterre et plusieurs s’inspirent des danses françaises pour leurs créations.

Après une première publication dans le dernier quart du 18e siècle, La belle Catherine semble se propager et gagner en popularité. L’historien de la danse écossaise George S. Emmerson la désigne comme l’une des danses les plus populaires à Édimbourg à la fin des années 1780.5 En 1788, le maître de danse écossais Simon C. McMahon inclut La Belle Catherine au programme du cours qu’il offre aux résidents de Winchester (Virginie), aux États-Unis.6 Peu après, en 1792, une description de la danse est publiée dans ce même pays ; l’année suivante, une partition de la musique de la Belle Catherine est publiée à Philadelphie.7 Selon l’auteure Kate Van Winkle Keller, la danse acquiert une énorme popularité chez nos voisins du Sud au siècle suivant, et l’air de la Belle Catherine y serait encore connu aujourd’hui sous le nom de Muffin Man.8

Une partition de La Belle Catherine parue aux États-Unis, 1793. Moller and Capron's Monthly Numbers. [/>, Monographic. Printed for Moller and Capron, 1793] Notated Music. https://www.loc.gov/item/2015560822/

Au Québec, la plus vieille référence à une danse appelée belle Catherine que j’ai pu trouver remonte à cette soirée de 1852 précédemment mentionnée. Bien qu'on n'ait aucune description de la danse telle qu'exécutée au 19e siècle, plusieurs sources nous permettent de voir qu'elle était assez répandue dans la province. On sait entre autres que Robertine Barry, à qui l’on doit la citation évoquée plus haut, aurait dansé la danse dans les années 1870 à Trois-Pistoles, Bas-Saint-Laurent.9 La danse est aussi exécutée en ville : en 1885, une soirée est donnée à la salle Victoria de la ville de Québec pendant laquelle on exécuta de nombreuses danses, dont les « lanciers, cotillon, contredanse espagnole, quadrille, belle catherine [sic], etc, tout y passa ; on s’amusait gaiment. »10 La même année, lors des fêtes de la Saint-Jean-Baptiste à Montréal, la Belle Catherine est également au programme.11 Un autre article de journal publié dans les années 1880 présente une contredanse nouvelle, la tempête, indiquant qu’il s’agit d’une « danse dans le genre de Sir Roger de Coverley, ou de la Belle Catherine au Canada. »12 Ici, la Belle Catherine est donnée comme exemple par l’auteur de ce dernier extrait pour faire comprendre aux lecteurs le type de danse qu’est La tempête, laissant croire que le public de l’époque connaît déjà assez largement La Belle Catherine pour saisir la référence.

La lente disparition de la Belle Catherine au Québec

Au début du 20e siècle, la danse continue d’être pratiquée dans certaines régions du Québec mais semble avoir été progressivement oubliée en milieu urbain. La Belle Catherine est par exemple mentionnée en 1919 comme une « danse du bas du fleuve » au programme d’une « soirée des ancêtres », organisée par l’ethnologue Édouard-Zotique Massicotte au Monument national à Montréal.13 Il dira plus tard, en 1930, que cette danse est un « quadrille connu un peu partout au-dessous de Québec ».14 Parallèlement, d’autres témoignages semblent aussi confirmer que la Belle Catherine est déjà dans les années 1930 chose du passée, du moins en ville : Mme Charles Hamel, de Montréal, indique par exemple que « les jeunes étaient meilleurs autrefois. Ils s’amusaient honnêtement, dansaient devant les parents, le quadrille, le calédonia, la belle Catherine et s’en donnaient à coeur joie. »15 Dans un commentaire semblable, l’ethnologue Marius Barbeau indique en 1946 que « après les danses carrées pour la jeunesse, venaient les danses moins vives pour les aînés : la ‘’Belle Catherine’’, les ‘’Foins’’, la ‘’Frégate’’, la ‘’Plongeuse’’, les quadrilles, les cotillons et quelquefois - en société élégante - le menuet. »16 En 1951, on peut lire dans un article de la Revue de l’Université Laval que « La Belle-Catherine est en voie de disparition. »17

La Belle Catherine est cependant encore dansée dans certains villages de Gaspésie lorsque l’ethnologue Simonne Voyer visite la péninsule plus tard dans les années 1950. Prenant en note les figures et déplacements, Voyer remarque que « cette danse familière aux personnes d’âge moyen et d’âge mûr, était inconnue de la jeune génération au moment de l’enquête ».18 Il s’agit là d’une des rares descriptions de la danse en son contexte québécois.

Un air vif et entraînant

Si la danse semble avoir presque totalement disparu dans la province, de nombreuses pièces musicales appelées « La Belle Catherine » sont aujourd'hui encore au répertoire de violoneux et violoneuses. Par leur nom, ces morceaux font écho à cette ancienne contredanse qui rythmait les fêtes du 25 novembre. Pour se mettre dans l'ambiance de cet air « vif et entraînant », tel que le décrivait Robertine Barry au 19e siècle, concluons avec un enregistrement d'une pièce d'Isidore Soucy (1930).

NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

  1. « La Sainte-Catherine », L’avenir (20 novembre 1847), p. 3.

  2. Joseph-Edmond ROY, Souvenirs d'une classe au Séminaire de Québec (1867-1877) (Lévis : Imprimerie de l'auteur,1905), p. 458.

  3. Robertine BARRY, Chroniques de lundi de Françoise (S.I. : s.n., 1896?), p. 16.

  4. Richard BRIDE, Bride's Favorite Collection of two hundred select Country Dances, Cotillons and Allemands with the newest figures to each as they are now performed at Court, Bath, Almack's and all Polite Assemblies (Londres : Longman, Lukey & Broderip, 1775?), p. 85.

  5. George S. EMMERSON, A Social History of Scottish Dance : Ane Celestial Recreatioun (Montréal-Londres : McGill-Queen’s University Press, 1972), p. 281.

  6. Kate Van Winkle KELLER, Dance and Its Music in America, 1528-1789 (Royaume-Uni : Pendragon Press, 2007), p. 237.

  7. « La Belle Catherine and variations », Moller and Capron's Monthly Numbers (/>, Monographic, Printed for Moller and Capron, 1793), p. 3. https://www.loc.gov/item/2015560822/

  8. KELLER, p. 238.

  9. Jean DUVAL, « Porteurs de pays à l’air libre : jeu et enjeux des pièces asymétriques dans la musique traditionnelle du Québec, » (Université de Montréal, 2012), p. 37.

  10. « Le Cercle Frontenac », L’événement (22 janvier 1885), p. 3. 

  11. « La fête nationale à Montréal », La Minerve (22 juin 1885), p. 1.

  12. « Le bal », L’événement (23 juin 1881), p. 2.

  13. « La soirée des ancêtres », Le devoir, 9 décembre 1919, p. 10.  

  14. Édouard-Zotique MASSICOTTE, « Anciennes danses gaspésiennes » Bulletin des recherches historiques (juillet 1930), p. 401.

  15. Madame Charles HAMEL, « Ô! Les crinolines d’antan! » La patrie, 28 février 1937, p. 64. 

  16. Marius BARBEAU, « Chansons de noces », Le soleil (27 octobre 1946), p. 7. 

  17. Revue de l’Université Laval 6 (1951), p. 226.

  18. Simonne VOYER, La contredanse au Québec (Montréal : Varia, 2008), p. 40.