Histoire d'une danse : le batteux

par Olivier Paré, historien, danseur et enseignant

Le batteux est une danse traditionnelle québécoise exécutée durant la période des moissons. Ses origines sont directement reliées aux travaux agricoles qui rythmaient la vie des paysans. Découvrons ensemble son histoire!

La récolte à Saint-Prime. Le Monde illustré, Vol. 11, no 538 (25 août 1894), p. 198. Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

La récolte à Saint-Prime. Le Monde illustré, Vol. 11, no 538 (25 août 1894), p. 198. Bibliothèque et Archives nationales du Québec.

Danser après les travaux

Au Québec, la période des moissons est aussi une occasion de célébrer. Avant la mécanisation de l’agriculture, les travaux sont longs et ardus, nécessitant parfois la participation de la communauté toute entière pour les réaliser. Ainsi, la fin des travaux est propice aux réjouissances, alors que tout le monde est réuni au même endroit avec une envie certaine de décompresser! Dans ce contexte, finir la moisson est assurément digne d’être souligné en grand. Voyons ce que Pamphile Lemay nous apprend à ce sujet, en 1898 :

La récolte est rentrée, le champ est nu, et le chaume dresse partout ses tiges perçantes. Il ne reste plus qu’une gerbe à faire, c’est la dernière, c’est la grosse gerbe! Tous les travailleurs redoublent de zèle. […] On la met debout ; on noue des fleurs à sa tête d’épis et des rubans à sa jupe de paille. Puis, en se tenant par la main, l’on danse autour des rondes alertes. On épuise le répertoire des vieux chants populaires, et l’on remplit le ciel de rires, de murmures et de cris. […] La fête de la grosse gerbe se termine par une soirée de jeux et de danse comme toutes les autres réjouissances populaires. (Fêtes et corvées, 1898, p. 32-33)

Lemay fait ici référence aux réjouissances qui se déroulent après avoir rentré les derniers épis dans la grange. Le travail agricole n’est toutefois pas terminé! S’ensuit une autre tâche d’importance, directement liée à la danse du batteux : le battage du blé, c’est-à-dire la séparation des grains de leurs épis. Selon le livre Le parler populaire des Canadiens-français, publié à Québec en 1909, un batteux fait référence à la machine utilisée pour battre le blé, mais le mot peut aussi désigner la personne qui exécute la tâche. C’est là un travail pénible et très physique, surtout si l’on ne dispose pas d’un outil mécanique : on doit alors battre les épis avec un fléau, une sorte de long manche de bois auquel est attaché un autre morceau de bois (la batte) par des sangles de cuir. Les agriculteurs étalaient traditionnellement le blé au centre de la grange et battaient le blé avec leur fléau, un coup après l’autre en alternance.

Sainte-Pétronille, Montmorency - Collection Walker - Le batteur au fléau, Vers 1950, BAnQ Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, (03Q,E6,S8,SS1,SSS1136,D7338), Edgar Gariépy.

Sainte-Pétronille, Montmorency - Collection Walker - Le batteur au fléau, Vers 1950, BAnQ Québec, Fonds ministère de la Culture et des Communications, (03Q,E6,S8,SS1,SSS1136,D7338), Edgar Gariépy.

Cette façon de faire est loin d’être anodine : en 1918, dans un livre intitulé Les choses qui s’en vont, le Frère Gilles indique que les coups répétés à intervalles égales sur les épis de blé créaient une sorte de rythme qui invitait au chant et à la danse. Outre les petits refrains entonnés en suivant la cadence des travaux, une danse était aussi effectuée :

« Si vous aviez jeté un coup d’œil par la petite porte de la batterie, vous auriez vu les batteux se faisant vis-à-vis, en se renvoyant la révérence, absolument comme dans une gigue simple. Si l’un faisait un pas en avant, l’autre l’exécutait en arrière. Et c’était une série de petits pas très courts, comme gênés, hésitants et timides, mais toujours ponctués de saluts. Et tout cela, sans perdre une mesure indiquée par les pofs des fléaux. » (Les choses qui s’en vont, p. 92-93.)

Il semble donc plausible que les agriculteurs aient exécuté tout naturellement quelques pas de gigue, inspirés par les rythmes des travaux. Ce passage de 1918 représente l’une des seules descriptions écrites du batteux.

 
 

Le batteux de Louis Boudreault

Le batteux fait aussi référence à une pièce musicale du répertoire du violoneux Louis Boudreault (1905-1988). Originaire de Chicoutimi, au Lac-Saint-Jean, M. Boudreault tient la mélodie de son père. C’est cet air qui, vraisemblablement, accompagnait la danse du même nom dans la région. Lors d’une performance dans les années 1970, M. Boudreault présente le morceau qu’il va jouer en glissant quelques mots sur son origine :

« Ça, ils appelaient ça le batteux. Le batteux ça voulait dire, la journée du bee là, qui battaient le grain, là ils faisaient un bee puis ils dansaient le batteux. »

Le mot bee, utilisé par Boudreault, réfère aux corvées collectives réalisées aux siècles précédents ; dans ce cas-ci, la corvée de battage de grain. C’est donc un autre indice qui confirme que le batteux était dansé lors de ces événements!

Laissons-nous maintenant sur l’interprétation du batteux par M. Boudreault, ainsi que sur une vidéo de la troupe de spectacle des Mutins présentant le batteux lors de leur tournée en Pologne, en 2019.

Le violoneux Louis Boudreault joue le batteux lors d’une performance dans les années 1970.

Le batteux dansé par la troupe des Mutins sur la scène du festival Tydzien Kultury Beskidzkiej, à Wisla, en Pologne.

BIBLIOGRAPHIE

DIONNE, N.-E. Le parler populaire des Canadiens-français. Québec : Laflamme & Proulx, 1909, 696 p.

FRÈRE GILLES. Les choses qui s’en vont… Montréal : La tempérance, 1918, 203 p.

HART, Laurie et Greg SANDALL. Danse ce soir! Fiddle and Accordion Music of Québec. Fenton : Mel Bay Publications, 2001, 192 p.

LEMAY, Pamphile. Fêtes et corvées. Lévis : P.-G. Roy, 1898, 91 p.

BAnQ. Réseau de diffusion des archives du Québec. « Coutumes et culture - La fête de la moisson. » http://rdaq.banq.qc.ca/expositions_virtuelles/coutumes_culture/octobre/action_graces/coutume_culture.html [Consulté le 5 juillet 2021]