Histoire d'une danse : le spandy
par Olivier Paré, historien, danseur et enseignant
Des résidents de Douglastown, interviewés en 2010 par Luc Chaput et Linda Drody, racontent que pendant l’été, on organisait au village des sessions de danse extérieure appelées picnic dances. C’était l’occasion de sortir de grandes planches de bois et d’y danser plusieurs contredanses, dont une bien connue des ensembles folkloriques : le spandy. Cette danse gaspésienne au caractère enjoué pique la curiosité de plusieurs folkloristes depuis plus d’un siècle. Retraçons ensemble son histoire.
Une contredanse « fort animée »
Le 25 novembre 1920, une troupe de 10 danseurs venus de Gaspésie donne un spectacle de danse traditionnelle au Monument national de Montréal. Ils y présentent plusieurs danses de la péninsule, dont le spandy, une contredanse dynamique aux pas de gigue compliqués. Pour le public montréalais de l’époque, le répertoire gaspésien, bien différent des danses connues dans la métropole, est une nouveauté. « Ces gens, » lit-on alors dans La Presse, « pratiquent une foule de gigues et de contredanses fort animées et décidément plus originales que celles qui ont été préservées dans la région montréalaise. » (La Presse, 20 novembre 1920.)
La soirée du 25 novembre 1920 est un vif succès et la présence des Gaspésiens à Montréal nourrit l’intérêt de l’ethnologue Marius Barbeau, qui s’informe auprès des danseurs des origines des danses exécutées. Selon ses notes, publiées en 1930, le spandy aurait été apporté autrefois par des marins du Royaume-Uni sur les côtes de la Gaspésie. Le mot « spandy » viendrait d’une déformation du verbe anglais to spank, qui signifie « se mouvoir rapidement » ou « aller au grand trot. » Le nom ferait ainsi référence aux mouvements dynamiques de la gigue qui caractérise la danse.
Des collectes éclairantes
L’intérêt pour le spandy ne s’arrête pas à Marius Barbeau : en 1956, l’ethnologue Simonne Voyer visite le village de Rivière-au-Renard afin d’y observer et d’y collecter des danses locales. Elle y note les différents pas et figures du spandy, tel que dansé par la famille Denis. Plus tard, en 1984, Mario Boucher et Manon Bourcier retournent dans le même village pour faire une nouvelle collecte de la danse.
Selon le spécialiste Pierre Chartrand, la forme et la structure du spandy ainsi mis en lumière dénotent de grandes similitudes avec les contredanses d’Écosse. S’agirait-il donc d’un héritage de la communauté écossaise, plutôt que des marins anglais comme l’avait proposé Barbeau? Il faut dire que la Gaspésie est habitée par des Écossais depuis au moins 1812 : ceux-ci s’y établissent notamment pour tirer profit de l’industrie forestière et de la pêche. Sans parler du paysage, entre mer et montagne, qui ne devait pas leur sembler trop exotique!
Le spandy, une danse de grande notoriété!
Le mot « spandy » ou « espandy » fait aussi référence à un morceau du répertoire des violoneux. D’abord enregistrée et publiée sous le nom de Reel de la belle fermière par Isidore Soucy en 1947, cette mélodie va être reprise par plusieurs autres musiciens folkloriques au courant des décennies suivantes. La danse elle-même, tout comme la musique, est par la suite adoptée par les ensembles folkloriques. Même Gilles Vigneault mentionne le spandy en entrevue en 1999! Il indique :
« Il y avait une sorte de danse, qui s’appelait le spandy, qui était une danse d’origine écossaise bien sûr, et le brandy aussi. Le spandy c’était une sorte de danse assez compliquée à faire, tous les danseurs devaient savoir giguer pour la danser. Ça supposait que l’on ne pouvait danser ledit spandy qu’avec un minimum de huit bons gigueurs. » (Littoral 5, 2010, p. 52)
M. Vigneault décrit ici ses souvenirs non pas de la Gaspésie, mais de la Côte-Nord! C’est donc dire que le spandy a bien voyagé au courant du siècle dernier.
BIBLIOGRAPHIE
BELLEMARE, Luc. « Gilles Vigneault, mélodiste, danseur et acteur : du folklore au métissage moderne dans la chanson populaire. » Littoral 5 (2010), 48-55.
CHARTRAND, Pierre. « Marius Barbeau et la danse. » Rabaska 13 (2015), 188-197.
FALLU, Jean-Marie. « La Gaspésie british. » Magazine Gaspésie 51:1 (mars-juin 2014), 5-10.
FAVREAU, Éric. « Douglastown : musique et chanson de la Gaspésie. » Bulletin Mnemo 15:2 (Hiver 2015).
MASSICOTTE, Édouard-Zotique. « Anciennes danses gaspésiennes. » Le bulletin des recherches historiques 36:7 (Juillet 1930), 400-402.
« La Gaspésie et ses traditions à Montréal. » La Presse, 20 novembre 1920, p. 34.
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