La valse-clog, danse de ville
par Olivier Paré, historien, danseur et enseignant
En 1906, les journaux vantent la performance d’un dénommé O. Charette, danseur chevronné, au Parc Sohmer de Montréal. Il y aurait exécuté une « valse-clog » fort impressionnante. Quelle est donc cette danse qui défraie la chronique au tournant du vingtième siècle? Retournons en arrière pour en découvrir l’histoire.
Aux origines de la valse
La valse serait née dans les banlieues de Vienne. Elle serait une descendante d’une autre danse autrichienne à trois temps, beaucoup plus ancienne : la Ländler. D’abord dansée par les paysans, la valse gagne bien vite la faveur de la haute société. Au courant du 19e siècle, la valse se propage en Europe, non pas sans déranger les maîtres de danse qui craignent de ne plus être requis pour faire danser l’aristocratie. C’est est en effet une danse relativement facile qui pourrait bien vite remplacer les anciens menuets et cotillons, danses compliquées, nécessitant un long apprentissage et un effort de mémorisation pour maîtriser les figures.
La valse arrive au Québec
En 1817, deux maîtres de danse tout juste arrivés de Paris proposent d’enseigner la Waltz européenne à leur toute nouvelle académie, située au cœur du Vieux-Montréal. Bien vite, la valse et les autres de couple à la mode gagnent en popularité dans les centres urbains, au grand désespoir du clergé qui y voit une grave perversion de la morale. Cette position peut sembler surprenante aujourd’hui, mais la valse représente à l’époque une nouveauté assez choquante : c’est l’une des premières danses où l’on tient son partenaire par la taille, et non par la main.
Voyons ce que le curé de Notre-Dame-de-Québec a à dire sur le sujet dans un document de 1879 nommé « Les danses et les bals » : « les danses immodestes, soit à raison de nudités, soit à raison du mode de danse, des paroles, des signes, des chants, des actions, peuvent devenir gravement illicites, comme la chose est claire. Sont réputées telles les danses modernes connues sous les noms de Valse, Polka, Galop, Cancan, et autres semblables .» Il ajoute qu’en règle général, on doit empêcher « toute espèce de danse entre personnes de différent sexe ; parce que, la plupart du temps, les danses, comme elles se font pour l'ordinaire, sont pleines de périls. C'est pourquoi les curés et les confesseurs, en autant qu'il sera possible, doivent en détourner leurs paroissiens et leurs pénitents. » Malgré sa vive opposition aux danses modernes en couple, le clergé n’aura pas réussi à les faire disparaître au Québec.
La « valse-clog » à Montréal
Au 19e siècle, la métropole québécoise est transformée par l’arrivée massive d’immigrants originaires des Îles Britanniques. La danse n’y fait pas exception : les pas et figures en provenance de l’Angleterre, de l’Écosse et de l’Irlande vont influencer la danse folklorique québécoise et se mêler aux danses de l’époque. La valse-clog serait née de ce mélange d’influences : il s’agit d’une danse où l’on exécute des pas de gigue sur un rythme de valse rapide et rythmé. Cette gigue serait, selon les experts, très similaire à certains pas du clogging anglais. La danse est donc un témoignage de l’influence directe des nombreux immigrants britanniques dans la métropole.
Ainsi, au début du vingtième siècle, de nombreux solistes vont, à l’image de M. Charette, fouler la scène du Parc Sohmer pour montrer leur agilité sur le rythme de valse-clog. La danse perd toutefois en popularité après la fermeture du célèbre parc en 1919. Les violoneux conservent toutefois les mélodies de valse-clog au sein de leur répertoire et la danse sera reprise par les ensembles folkloriques beaucoup plus tard.
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