La veillée aux chantiers : danser entre hommes

par Olivier Paré, historien et directeur artistique et pédagogique

« Arrivé à Bytown, a fallu débarquer.

On rentr’ dedans la vill’ pour se fair’ pensionner.

On a bien été cinq jours à rôder, à marcher,

À danser tous les soirs pour se désennuyer. »

(Madeleine BÉLAND, Chansons de voyageurs, coureurs de bois et forestiers (Québec : Les presses de l’université Laval, 1982), p. 175)

Cette chanson traditionnelle, appelée « Le départ de l’engagé pour les chantiers », met en scène de courageux travailleurs des bois qui se préparent à quitter leurs familles pour un voyage hivernal « de soucis et d’ennuis », où les divertissements se font rares. Malgré les difficultés du travail aux chantiers, les bûcherons trouvent en la veillée du samedi soir un moment de répit fort attendu pendant lequel on raconte des histoires, on joue aux cartes, on chante et, souvent, on danse! On réunit au camp les hommes et, s’il y a lieu, les rares femmes qui œuvrent dans les chantiers ; certains amènent leur « musique à bouche » ou leur violon, des instruments peu encombrants glissés dans les bagages, un câlleur est choisi. Si le plancher du camp est trop instable ou glissant, on sort la porte de ses gonds et on gigue dessus!

L’intérieur d’un camp de bûcherons au lac des Islets, Saguenay-Lac-St-Jean. Photo prise entre 1895 et 1921. BAnQ, P60,S1,D2,P68.

Les témoignages sur la danse dans les chantiers sont nombreux, mais malheureusement donnent souvent peu de détails sur les danses effectuées. On sait par exemple que dans les années 1860, des Américains visitent un chantier à Baie-des-Rochers et passent « la veillée avec les hommes du chantier. Le soir, en l’honneur des étrangers, il y eut danses, chansons, histoires de revenants ou de voyages. » (Henri TÊTU et Henri-Raymond CASGRAIN, David Têtu et les raiders de Saint-Alban (Québec : N & Hardy, 1891), p. 115).

Parallèlement, un curé est témoin d’une veillée de danse lorsqu’il visite un chantier de la région de Shawinigan en 1893. Il écrit :

« Je vous disais que je m’en vais ce soir faire la veillée aux chantiers ; [...] Une quarantaine d’hommes occupent chacun de ces chantiers. [...] La journée choisie par le prêtre pour visiter le chantier est annoncée d’avance ; le travail cesse un peu plus tôt et quand nous arrivons, vers 6 heures et demie chaque homme a fait sa toilette et nous commençons de suite les amusements avec tous ces bons lurons. Des contes, des chansons, quelquefois des danses, du violon, nous aident à passer bien agréablement les quelques heures données par encouragement à ces hommes qui peinent toute la journée à travers les neiges et les froids. » (Nadine-Josette CHALINE, René HARDY et Jean ROY, La Normandie et le Québec vus du presbytère (Rouen : Publications de l’Université de Rouen, 1987), p. 164-165.)

Une messe de minuit dans un chantier d’autrefois. Illustration d’Edmond-Joseph Massicotte, 1927. BAnQ, 0002724002

Quelles sont ces danses qui permettent aux hommes des bois de vaincre l’ennui pendant la rude saison hivernale?

Rondes, menuets et reels à huit

L’une des premières descriptions d’une danse entre forestiers nous vient de l’écrivain Joseph-Charles Taché. Partisan de la colonisation des pays d’en haut, Taché a lui-même vécu « avec les hommes de la côte et de la forêt […] », comme il les appelle dans son roman Forestiers et voyageurs (1863), recueillant leurs contes et leurs mœurs. Il indique que dans les chantiers du milieu du dix-neuvième siècle, il était coutume d’effectuer la « ronde des voyageurs », une sorte de danse chantée où deux chanteurs (un vieux voyageur et un jeune), assis sur des sacs et munis de chaudières vides en guise de percussions, chantent chacun leur tour et se répondent, pendant que les autres forment un cercle autour d’eux. Le plus jeune chante des couplets empreints de naïveté et d’excitation face à la saison qui commence, alors que le plus vieux parle d’expérience et donne des conseils et des avertissements. Après chaque couplet, les autres participants se tiennent par la main en grand cercle et tournent en chantant un refrain de danse ronde.

Les paroles de la dernière ronde de la ronde des voyageurs, telles que relatées par Taché dans Forestiers et voyageurs (édition de 1884), p. 162.

Outre cette ronde initiatique, d’autres types de danses de groupe semblent avoir été populaires dans les chantiers vers la moitié du dix-neuvième siècle. En 1874, une biographie de Barthélémy Joliette (1789-1850), fondateur de la ville de Joliette dans Lanaudière, donne par exemple d’intéressants détails sur les amusements dans les camps de bûcherons qu’on retrouve alors dans la région. Plus particulièrement, un passage mentionne d’anciennes danses pratiquées à l’époque :

« Les reels à huit, les gigues simples, les menuets, les chansons canadiennes se succèdent, pendant une partie de la nuit, avec un entrain qui ne permet pas d’envier de plus éblouissants théâtres. Telle est, durant l’hiver, la vie des hommes de chantiers. » (Joseph BONIN, Biographies de l’Honorable Barthélémi Joliette et de M. le grand vicaire A. Manseau (Montréal : Eusèbe-Sénécal, 1874), p. 69)

L’extrait fait état de trois danses différentes, dont le menuet, dansé dans les bals de la Nouvelle-France, qui semble être resté longtemps dans le répertoire local : il était encore dansé par les plus âgés dans les veillées à la fin du dix-neuvième siècle. On parle également du reel à huit, une danse énigmatique puisque nous n’avons guère de détails sur ses figures. Il est possible qu’il s’agisse de la dénomination locale du cotillon ou de la contredanse française, dansée en carré de 4 couples (8 personnes). Un article publié dans le journal L’Avenir du Nord en 1921 indique par exemple que dans la région de Saint-Jérôme, « la danse obligée des noces était le cotillon, vulgairement [appelé] le reel à huit » (J.-J. G., « La gaieté jérômienne, » L’Avenir du Nord, 15 juillet 1921, p. 1). Par surcroît, en 1955, une collecte de Robert Rousseau révèle une danse s’apparentant au cotillon appelée « gigue à huit » à Val-Morin ; la famille Desjardins de Saint-Hippolyte (Laurentides) se rappelle avoir aussi dansé « des huit » au début du vingtième siècle (« Un document inédit de notre petite histoire! », Le sentier 20:8 (octobre 2002), p. 1). Les expressions « huit », « gigue à huit » et « reel à huit » font peut-être toutes référence au cotillon dans les pays d’en haut. Enfin, une danse appelée Reel of Eight fait aussi partie du répertoire des Métis de l’Ouest du Canada, un répertoire fortement influencé par la présence canadienne-française et écossaise au sein du commerce des fourrures.

La gigue : en solo, à deux ou avec un verre sur la tête!

«La gigue», sculpture d'Alfred Laliberté. BAnQ, E6,S7,SS1,P34000.

La gigue, prouesse par excellence du répertoire québécois, est mentionnée non seulement dans la biographie de Joliette mentionnée plus haut, mais aussi dans de nombreux autres documents. En 1899, par exemple, le livre French Canadian life and character publié à Chicago aux États-Unis mentionne la gigue comme une danse typique des bûcherons de la région d’Ottawa :

« Some will certainly be found who can tell a good story, dance a cunning if noisy jig, or sing one of the many quaint, childish, but often touching airs which, floating down intact from the primitive days of the early French rule, still delight the voyageurs of to-day. » (George Munro GRANT, French Canadian Life and Character (Chicago : Alexander Belford & Co., 1899), p. 216)

La gigue semble aussi faire partie de l’imaginaire des veillées au chantier pour les gens de la ville, comme en témoigne une soirée de mœurs canadiennes organisée au Monument national à Montréal en 1924. On y présente un tableau intitulé « un samedi soir au chantier », pendant lequel des gigues simples sont exécutées par Moïse Aspirault et une certaine Mme Malouin, puis une gigue double (à deux?) par les deux mêmes danseurs.

Certains romans de mœurs canadiennes publiés au début du vingtième siècle donnent une idée de comment ça se passait dans les chantiers. Anciens chantiers du Saint-Maurice (1935), de l’auteur Pierre Dupin, peint le portrait des chantiers de la Mauricie vers 1870-1880. Reposant sur des témoignages de vieux bûcherons de la région, le texte inclut une scène de veillée du samedi soir où on demande à l’accordéoniste de jouer une gigue, puis les bûcherons invitent leur « boss », le foreman, à aller danser. On soulève la porte hors de ses gonds puis le foreman se met à danser dessus, devant le regard admirateur de ses employés. Dans À la hache (1932), l’auteur Adolphe Nantel se base sur son expérience comme employé de la compagnie de bois Laurentide dans les années 1920 pour décrire certaines scènes de danse. Dans un hangar du lac Clair (Lanaudière), la saison des bois est ouverte par une soirée où on observe notamment des gigues à deux :

« Les « danseux » se donnent la main, tournent sur eux-mêmes, par deux fois, se font une révérence […]. Les bottes des danseurs tapent les planches avec plus de force. Ils se prennent la main, rapidement, changent de place, se saluent, recommencent. […] Le joueur de violon, épuisé, s’est arrêté avant les danseurs. Ces derniers ont gigué pendant vingt minutes. […] Les mouvements recommencent, plus rapides encore. […] Les deux pieds, à la fois, sautent en l’air pour retomber en pétarades suivies. Écartement et rapprochement des deux jambes, bout de semelle sur le plancher, suivi d’une tape sur les cuisses. Enfin, toute la beauté de cet exercice, légué par les aïeux. Peu surprenant qu’avec de tels jarrets, ils aient couvert un monde… » (Adolphe NANTEL, À la hache (Montréal : Éditions Albert Lévesque, 1932), p. 142-144).

Enfin, d’autres sources de nature ethnographique témoignent de la présence de la gigue dans les camps. Au Lac-Drolet, comté de Frontenac (Estrie), on sait par exemple que lors des veillées aux chantiers, « ça contait des histoires puis ça chantait. Il y avait toujours quelqu’un qui emmenait des musiques… Puis ça dansait. Il y en avait des gigueurs dans ça. » (Robert-Lionel SÉGUIN, La danse traditionnelle au Québec (Sillery : Presses de L’Université du Québec, 1986), p. 65). Le livre On a du plaisir nous autres! de Danielle Martineau et Lisan Hubert fournit aussi plusieurs témoignages de gens de la région de Lanaudière ayant œuvré dans divers chantiers à travers la province. Dans les chantiers de Saint-Côme, par exemple, Jacques Larochelle se souvient d’une impressionnante prouesse : « certains connaissaient trois ou quatre accords sur la guitare […]. Ça suffisait pour faire giguer les petits vieux avec un verre sur la tête! » (p. 156-157). Roger Beaulieu, de Joliette, se souvient quant à lui des chantiers des Passes dangereuses au Lac-Saint-Jean, « où il y avait une centaine de camps de vingt hommes. Le soir, tous les hommes venaient à leur camp pour les entendre et pour danser. Les gars du Lac sautaient en bottes de cuir ferrées et les faisaient claquer! » (p. 158). Un témoignage de Gaston Beauséjour indique que le samedi soir, dans les chantiers aux « alentours de Parent, en Haute-Mauricie, […] il y avait une grosse veillée avec violon, gigue et chansons à répondre. » (p. 158)

Se faire raser… par un gigueur!

La danse du barbier exécutée par la troupe de spectacle des Mutins de Longueuil au festival international Hello!Schoten en Belgique, juillet 2023. Photo : Festival Hello!Schoten

Si danser avec un verre sur la tête semblait déjà assez téméraire, certains vont jusqu’à giguer avec une lame à raser dans les mains! Le folkloriste Édouard-Zotique Massicotte (1867-1947) mentionne dans ses notes une danse assez exceptionnelle exécutée aux chantiers : la danse du barbier. Cette pantomime comprend plusieurs personnages selon les versions recensées, mais toujours un thème récurrent d’un barbier rasant la barbe d’un client, le tout en exécutant un éventail de pas de gigue. L’informateur de Massicotte, un dénommé Joseph Rousselle de Saint-Denis-de-Kamouraska, a vécu dans les chantiers de la baie Georgienne (Ontario) vers la fin du dix-neuvième siècle. On profitait des veillées du samedi soir pour exécuter cette danse à la riche trame narrative :

« Parmi les divertissements de l’époque, on plaçait au premier rang la ‘’danse du barbier’’, une des rares pièces du genre que la tradition nous a transmise. Cette curieuse pantomime se joue à trois personnages : le barbier, le client et le violoneux qui pourraient s’appeler : le raseur, le rasé et le racleur. Comme accessoires, le barbier avait un énorme rasoir de bois taillé à la hache et au couteau, un vase quelconque, cuvette, bassin, bassine ou seau servant de plat à barbe, enfin, un balais ou un ‘’blanchissoir’’ faisant office de blaireau. Et voyons ce qui se produisait : Pendant que le client, serviette au cou, se tient immobile sur une chaise ou un banc et que le violoneux ‘’zigonne’’ consciencieusement sa musique, le barbier va, vient, virevolte sur un pied, sur l’autre, autour du rasé, imitant sans perdre un pas, tous les mouvements d’un professionnel à l’œuvre. Il ne faut pas d’arrêt, c’est une condition formelle, ce qui signifie que pour réussir cette saynète agitée, il faut un danseur agile, doté d’une endurance remarquable. L’opération terminée, le barbier constate que son client est sans connaissance. Affolé, le raseur prend le rasé dans ses bras et s’efforce de le planter debout. Pour sûr, il ne peut être frappé que d’une syncope. Mais non, l’inerte masse croule par terre. Dansant toujours, le barbier réfléchit : son client est mort ; on l’accusera d’être la cause de son trépas ; donc il faut ensevelir le défunt et le faire disparaître. Mais l’être inanimé git sur le dos, les bras écartés. Pour le rouler dans un linceuil, il faut lui rapprocher les bras du corps. Aussitôt pensé, aussitôt fait. Hélàs! ce geste a pour résultat de faire écarter les jambes. Autre embarras! Puis lorsque le barbier ramène les jambes l’une près de l’autre, les bras s’étendent en croix. Le barbier est au désespoir. Finalement, par un moyen qui varie, suivant que l’on joue devant des bûcherons ou dans une veillée de famille et aussi, suivant l’inspiration comique du pseudo barbier, le rasé recouvre ses sens et la scène se termine par une gigue double de vive allure .» (Édouard-Zotique MASSICOTTE, « Les danses mimées du Canada français, » dans Bulletin des recherches historiques 34:3 (mars 1928), p. 184-185)

Une courte version de la danse du barbier, exécutée à l’émission de télévision « Soirée canadienne ». L’épisode était consacré au village de Coteau-du-Lac (1976).

La danse du barbier, telle qu’observée au Québec, n’est pas sans rappeler plusieurs danses équivalentes présentes en Europe depuis au moins le 15e siècle. On en retrouve d’ailleurs plusieurs exemples dans différentes régions du sud de la France. Par surcroît, la pièce musicale « le reel du barbier », qu’on jouait pour accompagner la danse du même nom, est possiblement d’origine assez ancienne. Selon Marc Gagné et Monique Poulin, « la forme, l’étendue, la mesure et les rythmes du [reel du barbier] rappellent les caractéristiques vocales de certaines danses rondes du répertoire français » (Marc GAGNÉ et Monique POULIN, Chantons la chanson: enregistrements, transcriptions et commentaires de chansons et de pièces instrumentales (Québec : Presses de l'Université Laval, 1985),  73). Il semble probable que la danse du barbier soit arrivée au Québec sous le régime français, avant la conquête britannique de 1760.

Le set carré entre hommes

Vers la fin du dix-neuvième siècle, le set carré, nouveau type de danse venu des États-Unis, fait son entrée dans les maisons du Québec. La danse devient très populaire en raison de sa nature entraînante et dynamique, éclipsant bientôt les anciens quadrilles et cotillons des générations précédentes. Il faut théoriquement quatre couples composés d’un homme et d’une femme pour danser un set, mais l’absence de femmes dans les camps ne semble pas avoir freiné les bûcherons.

Ronald Gauvreau, de Maniwaki (Outaouais), se rappelle en 1968 :

« Autrefois, le samedi soir, on dansait. On avait des joueurs de violon, des joueurs de guitare et p’is on dansait des sets carrés. Pour différencier l’homme avec la fille, i’ se mettait un chapeau ou bedon un casque s’a tête. J’ai vu danser des grandes nuits de temps, aller jusqu’à minuit, une heure du matin. » (Normand LAFLEUR, La vie traditionnelle du coureur de bois aux XIXe et XXe siècles (Montréal : Leméac, 1973)

Mettre un morceau de vêtement particulier pour différencier les hommes des femmes semble avoir été pratique courante dans les camps. Clémence Gagné Venne, rare femme présente dans un camp de Lanaudière, indique que le samedi soir « au camp des hommes [...] c’était le tour du joueur d’accordéon, mais il manquait de femmes pour danser ; il y avait ma mère, ma belle-soeur et moi. Un homme se mettait un tablier et faisait la femme. » (On a du plaisir nous autres, p. 156) Enfin, dans un documentaire intitiulé Une soirée au chantier et produit en 1950, un câlleur réunit huit danseurs et s’exclame « Sortez vos jupes! » alors que quatre des danseurs, portant chacun un chapeau, sortent leur chemise à carreaux de leurs pantalons pour faire le rôle de la femme.

Le documentaire Une soirée au chantier, produit en 1950, tiré de la chaîne de YouTube de Normand DeLessard. Le set carré des bûcherons commence à 11:30.

Cette pratique de différencier les hommes des femmes avec des accessoires se retrouve même dans la littérature. Le roman À la hache (1932) d’Adolphe Nantel fournit à cet effet quelques détails intéressants :

« Une danse carrée termine le bal […]. Les filles sont choisies. Quatre gars solides se laissent attacher des mouchoirs bleus au coude. Le « set » commence. Deslauriers est choisi pour « câler »… - Promenade!... - Salute your partner!... - Swing la basquaise!... -A la man a lef (Gentlemen to the left)... [...] -Les des center, gents round… (Ladies in the center. Gent’s around)... -All swing. (Tournez tous). » (p. 148)

Ce document est précieux, car il semble indiquer que les sets étaient connus dans des milieux assez reculés dès les années 1920 ; on fournit par surcroît un rare échantillon de câll de l’époque, mêlant français et anglais.

Le 10 janvier 1929, le journal L’Étoile du Nord publie en outre un court texte de fiction intitulé « Une Veillée au Camp », un récit qui fournit d’autres détails similaires. Une trentaine de bûcherons rentrent du travail et se préparent pour la veillée de la fête des Rois. Un dialogue confirme l’absence des femmes (appelées ici créatures) lors de cette soirée :

« - Dis-donc Pierre Trudel, as-tu reçu la musique à bouche de ta vieille car, à soir, on danse. Les hommes du 4 et du 5 sont invités? - Oui Jos. Maheu, je l’ai reçue et j’aurai ça dans le bras car c’est pas souvent qu’on fête les Rois. Dommage qu’on n’ait pas de créatures pour ce soir batte feu! »

Plus tard, la danse commence :

« - Tout le monde est paré. Je vais commencer par un set. Que chacun choisisse sa compagnie.

Huit bûcherons se mettent en place et Pierre Trudel commence à jouer. On se salue, on se donne la main puis la danse commence. Jean Barnabé, de Joliette, est appointé ‘calleux’.

- Turn around to the right. - Swing your partner. - Gents to the left. - Ladies to the right. - Ladies in the center and gents all around. »

Les câlls ainsi fournis présentent des figures de set carré assez générales (le swing, la promenade, les femmes au milieu et les hommes autour…) ; il reste impossible d’identifier précisément la danse exécutée.

Conclusion

La veillée du samedi soir dans les camps de bûcherons est ponctuée de blagues, de contes, de chansons et de danses - un riche patrimoine folklorique. Bien que rares et éparpillées, les sources documentant les danses des travailleurs forestiers révèlent un fascinant répertoire, constitué selon les époques de menuets, de danses rondes, de gigues ou encore de sets carrés. Dans les familles comme aux chantiers, la danse demeure un divertissement de choix pour rompre la monotonie de l’hiver!

BIBLIOGRAPHIE

« Une veillée au Camp. » L’Étoile du Nord, 10 janvier 1929, p. 5.

« Un document inédit de notre petite histoire! » Le sentier 20:8 (octobre 2002), pp 1-5.

BÉLAND, Madeleine. Chansons de voyageurs, coureurs de bois et forestiers. Québec : Les presses de l’université Laval, 1982.

BONIN Joseph. Biographies de l’Honorable Barthélémi Joliette et de M. le grand vicaire A. Manseau. Montréal : Eusèbe-Sénécal, 1874.

CASGRAIN, Henri-Raymond et Henri TÊTU. David Têtu et les raiders de Saint-Alban. Québec : N & Hardy, 1891.

CHALINE, Nadine-Josette, René HARDY et Jean ROY. La Normandie et le Québec vus du presbytère. Rouen : Publications de l’Université de Rouen, 1987.

DUPIN, Pierre et Rodolphe DUGUAY. Anciens chantiers du Saint-Maurice. Trois-Rivières : Éditions du Bien public, 1935.

G., J.-J. « La gaieté jérômienne. » L’Avenir du Nord, 15 juillet 1921, p. 1.

GAGNÉ, Marc et Monique POULIN. Chantons la chanson: enregistrements, transcriptions et commentaires de chansons et de pièces instrumentales. Québec : Presses de l'Université Laval, 1985.

GRANT, George Munro. French Canadian Life and Character. Chicago : Alexander Belford & Co., 1899.

LAFLEUR, Normand. La vie traditionnelle du coureur de bois aux XIXe et XXe siècles. Montréal, Leméac, 1973.

MARTINEAU, Danielle et Lisan HUBERT. On a du plaisir nous autres ! Traditions orales de Lanaudière. Saint-Jean-de-Matha : Centre régional d’animation du patrimoine oral (CRAPO) de Lanaudière, 2004.

MASSICOTTE, Édouard-Zotique . « Les danses mimées du Canada français, » dans Bulletin des recherches historiques 34:3 (mars 1928), p. 184-186.

NANTEL, Adolphe. À la hache. Montréal : Éditions Albert Lévesque, 1932.

SÉGUIN, Robert-Lionel. La danse traditionnelle au Québec. Sillery : Presses de l’Université du Québec, 1986.

TACHÉ, Joseph-Charles. Forestiers et voyageurs. Montréal : Librairie Saint-Joseph, Cadieux & Derome, 1884.